A France2, peut-on faire grève quand on est en CDD?
Par Chloé Leprince Rue89 14/07/2008 18H58
Un précaire peut-il faire grève? Pas plus à France2 qu'ailleurs, semble-t-il, si l'on en croit le témoignage de deux journalistes reporters d'image (les JRI, qui tournent les sujets). Ils se sont heurtés, tout le week-end, à leur hiérarchie. Interviewés par Rue89, tous deux ont préféré conserver l'anonymat. Pas tant aux yeux de la direction de la chaîne publique, qui n'aura pas grand mal à les reconnaître, mais plutôt parce que, pigistes, ils travaillent aussi ailleurs.
Or A., comme B., refusent de participer à ce qu'on appelle les "bureaux d'été". En clair: des unités de tournage itinérantes qui couvrent l'actualité de "la France des vacances". A. qui a signé, lundi 7 juillet, un CDD de trois semaines, entend se solidariser avec le mouvement de grève du service des JRI, qui proteste contre la suppression des preneurs de son dans ces équipes.
"La polyqualification, c'est aussi une manière de valoriser les gens"
Depuis près de sept ans, France 2 tente en effet de "désanctuariser" la présence systématique de preneurs de son en tournage. A trois reprises au moins, ces dernières années, un bras de fer s'est entamé entre la direction et le service des preneurs de son. Les JRI, solidaires, refusent d'assurer systématiquement la prise de son en reportage
Jointe lundi par téléphone, Arlette Chabot, directrice de l'information, faisait valoir "une nécessité d'évoluer":
"Le métier doit évoluer à France 2, comme il a évolué dans toutes les autres télévisions. Nous n'avons plus les moyens de faire partir cinq personnes à chaque fois en mission.
"Nous avons fait une offre très intéressante aux preneurs de son en leur proposant de faire aussi du montage. La polyqualification, c'est aussi une manière de valoriser les gens et de les payer plus."
Pourtant, la grogne n'a pas molli, et les JRI ont maintenu leur préavis de prève. Ce lundi, la totalité des 7 JRI en CDI inscrits au planning faisaient bien grève. Certains des 8 pigistes ou CDD qui assuraient la journée auraient voulu leur emboîter le pas.
"On ne va pas embaucher des gens pour qu'ils fassent grève"
C'est le cas de A. et B., nos deux JRI anonymes, par ailleurs non syndiqués. Mais, vendredi soir, A. a été convoqué à la direction de l'information. Il affirme qu'Arlette Chabot l'aurait suggéré de "faire une croix sur son avenir à la 2" s'il faisait grève. Avant de promettre de casser son contrat s'il n'obtempérait pas:
"J'ai maintenu ma position et assuré que je ne me désolidariserais pas des JRI statutaires qui, eux, sont en grève."
Une démarche inacceptable, aux yeux d'Arlette Chabot:
"Je veux bien croire qu'il ait reçu des pressions pour faire grève mais dans aucune entreprise, une personne recrutée en CDD pour remplacer ceux qui sont en vacances ne peut se permettre de dicter ses conditions. On ne va pas embaucher des gens pour qu'ils fassent grève pendant trois semaines!"
Cassera-t-elle les contrats en cours? A., qui est en CDD depuis la semaine dernière et faisait bien grève lundi 14 juillet, n'est en effet pas seul dans ce cas. Il y a aussi B., qui devait commencer aujourd'hui un contrat de cinq semaines. Gréviste dès son premier jour, lui n'a pas été convoqué par la direction mais joint par téléphone, vendredi soir:
"Personnellement, je sais faire du son et j'en fais ailleurs quand je travaille sur d'autres chaînes ou dans des agences.
"Mais la pige est alors majorée. Or, quand je travaille à France 2, je touche 125 euros bruts... contre 240 euros bruts en agence. Si le métier doit peut-être évoluer, alors faisons une vraie négociation salariale, sans chantage à la suppressions des piges!"
"Une direction qui s'en prend aux précaires révèle sa faiblesse."
La SDJ, qui a placardé dans les locaux de France 2 ce courrier que Rue89 s'est procuré, parle quant à elle de 'tentative d'intimidation" et dénonce "deux poids-deux mesures" aux frais des pigistes et CDD: "Une direction qui s'en prend aux précaires révèle sa faiblesse."
Contacté par Rue89, Philippe Luzzi, chef du service (une quarantaine de JRI statutaires et un pool de 45 pigistes), reconnait, guère à l'aise, la tension qui entoure cette passe d'armes mais voulait temporiser, lundi, en fin d'après-midi:
"Les menaces ponctuelles ont sans doute été violentes. Mais les choses semblent se calmer et je pense pouvoir dire que les contrats ne seront pas cassés."
Dans les locaux de France 2, certains racontent que Philippe Luzzi et Roger Motte, le rédacteur en chef responsable des JRI, auraient mis leur démission dans la balance pour que leurs journalistes en CDD ne fassent pas les frais d'un rapport de forces qui couvait depuis longtemps.