mardi 20 janvier 2009

AUDIOVISUEL:LE ROLE DE LA TABLE

Publié le 19/01/2009 à 13:11 - Modifié le 19/01/2009 à 13:40 Le Point.fr

INFO LEPOINT.FR - Loi audiovisuelle : ces quinze jours de tractations secrètes

Par Emmanuel Berretta

INFO LEPOINT.FR - Loi audiovisuelle : ces quinze jours de tractations secrètes

Il faut imaginer les trésors de diplomatie gastronomique que Christine Albanel et ses conseillers ont dû déployer, depuis quinze jours, dans le but d'obtenir qu'une majorité de sénateurs centristes adopte le projet de loi réformant la télévision publique © Christophe Petit Tesson / MAXPPP


Parce qu'en France, tout se règle autour d'un bon plat, il faut imaginer les trésors de diplomatie gastronomique que Christine Albanel et ses conseillers ont dû déployer, depuis quinze jours, dans le but d'obtenir qu'une majorité de sénateurs centristes adopte le projet de loi réformant la télévision publique. S'ils venaient à s'allier à la gauche, leur nombre suffirait à faire basculer la majorité. Il était donc indispensable de mettre les petits plats dans les grands et de soigner l'épiderme meurtri des sénateurs, "humiliés" par l'application anticipée de la réforme de France Télévisions censée être votée par eux...

Politique et ronds de serviette ont fait bon ménage tant dans les salons du ministère de la Culture qu'à la cantine du Sénat. Sur l'ardoise de la ministre, on dénombre ainsi : un dîner avec le sénateur Michel Mercier (président du groupe Union centriste) et Hervé Maurey (Union centriste), trois dîners avec Catherine Morin-Desailly (Union centriste, co-rapporteur de la loi), un dîner avec Bruno Retailleau (sénateur non inscrit), sans oublier de conforter ses propres troupes (deux dîners avec l'UMP Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles et Michel Thiollière, co-rapporteur de la loi), un apéritif partagé avec Henri de Raincourt (président du groupe UMP) et Catherine Dumas (orateur UMP sur la loi).

Des alliances liées à coups de fourchette

Au bout de la fourchette, ce sont ainsi 22 centristes qui ont voté l'adoption de la loi et seulement cinq qui ont voté contre. Et encore, choyer les centristes n'était pas suffisant. Il fallait aussi que Christine Albanel obtienne la neutralité des radicaux du RDSE (Rassemblement démocratique et social européen). La ministre de la Cuture en fut quitte pour un déjeuner avec Jean-Pierre Plancade, un RDSE par ailleurs vice-président de la commission des affaires culturelles. Grâce à son intervention, 16 sénateurs du RDSE se sont abstenus, deux ont voté pour. Les votes négatifs se sont limités à quatre.

La situation fut compliquée par le fait qu'en plus de devoir convaincre des alliés centristes, Christine Albanel a vu surgir une fronde au sein de son propre camp. Dès le mois de décembre, Jean-Pierre Raffarin avait sonné la charge en déclarant qu'il lui apparaissait "un peu désagréable d'avoir à débattre d'une réforme déjà engagée". Elle tenta de déminer le terrain. Impossible de joindre Jean-Pierre Raffarin ! "Nous l'avons appelé au moins quinze fois", a confié au point.fr l'un des conseillers. À chaque fois, ses assistants nous ont promis un retour. Mais rien !" Finalement, Christine Albanel et Jean-Pierre Raffarin se croisent par hasard dans les couloirs du Sénat. L'ancien Premier ministre se montre patelin : "Mais ma petite Christine, je n'ai rien contre toi..." Paroles, paroles... Au moment du vote de la loi, Jean-Pierre Raffarin s'est abstenu entraînant avec lui dix de ses proches... Manifestement, il n'a pas digéré que Nicolas Sarkozy ne le soutienne pas contre Gérard Larcher dans la bagarre pour la présidence du Sénat.


M6 relance la guerre du doc

La dernière péripétie est intervenue vendredi 15 janvier, au matin, quand une série d'amendements émanant de sénateurs UMP (dont Philippe Dominati) faillirent déclencher une guerre entre TF1 et M6, au grand dam de la ministre de la Culture. Bon gré mal gré, M6 avait signé des accords explicites qui enterraient le conflit portant sur la définition du "documentaire de création". La chaîne, qui avait fait mine de se soumettre, a profité du débat au Sénat pour relancer la guerre du doc. Quelques bonnes âmes se sont en effet chargées de porter ses intérêts par voie d'amendements. Tout l'édifice des relations entre les chaînes et les producteurs placées sous les bons offices d'Albanel était menacé. Un cauchemar...

Sarkozy dénoue les cordons de la bourse

Résultat : durant toute la matinée, Christine Albanel a fait battre les amendements UMP... grâce aux voix de la gauche ! En effet, la sénatrice socialiste Catherine Tasca (ancienne ministre de la Culture) et la ministre en titre ont fait cause commune. Les deux femmes se respectent et Albanel a toujours ménagé son prédécesseur. D'autant que Pascal Rogard, le lobbyiste en chef des auteurs, a adoubé de son magistère moral cette drôle d'union sacrée sur la définition du documentaire de création.


En louvoyant entre les récifs, Christine Albanel a attiré l'attention de Nicolas Sarkozy, observateur silencieux de la geste sénatoriale. Depuis quelques jours, le président de la République ne tarit plus d'éloges sur son sens politique... À Nimes, lors de ses voeux (citant douze fois le nom d'Albanel), il a même ouvert les cordons de la bourse à sa ministre. D'un seul coup, une pluie de 30 millions d'euros sont tombés en faveur du spectacle vivant, et plus de 100 millions d'euros sur le patrimoine. Rue de Valois, on exulte devant cette corne d'abondance inespérée !