vendredi 13 mars 2009

CAROLIS:J'IRAI JUSQU'AU BOUT DE MON MANDAT

Propos recueillis par Paule Gonzales et Enguerand Renault pour le FIGARO
13/03/2009
Patrick de Carolis au Figaro : «S'il n'y avait pas eu l'arrêt de la publicité, je suis certain que TF1 et M6 afficheraient des baisses de recettes non pas importantes mais vertigineuses.»
Patrick de Carolis au Figaro : «S'il n'y avait pas eu l'arrêt de la publicité, je suis certain que TF1 et M6 afficheraient des baisses de recettes non pas importantes mais vertigineuses.» Crédits photo : AFP
INTERVIEW - Patrick de Carolis, le PDG de France Télévisions, détaille sa feuille de route.

LE FIGARO. - C'est la première fois que vous prenez la parole depuis le vote de la loi audiovisuelle. Quels enseignements en tirez-vous ?

Patrick de CAROLIS. - Depuis le début de mon mandat, je ne cesse d'appeler à une réforme permettant d'établir des passerelles entre les chaînes du groupe. La loi lève les obstacles juridiques qui nous empêchaient de transformer en profondeur cette entreprise. Le téléspectateur continuera à regarder les cinq chaînes du groupe mais, en interne, c'est toute l'organisation qui change. La réforme est aujourd'hui en marche. Elle va nous permettre de renforcer France Télévisions dans sa place de premier groupe audiovisuel français et européen, que ce soit en termes d'audience ou de diversité des programmes. Pour cela, nous avons trois objectifs clairs. Stabiliser notre modèle économique, alors que l'ensemble du secteur de l'audiovisuel vit un véritable bouleversement ; car nous faisons tous - acteurs publics comme privés - une télévision trop chère. Il faut donc réduire les coûts de notre organisation interne et les factures de nos fournisseurs. Il faut aussi accélérer la transformation de France Télévisions en média global et faire en sorte que désormais les programmes soient imaginés en prévision d'une diffusion sur tous les supports. Nous devons amplifier notre offre éditoriale et renforcer l'identité de chacune de nos chaînes. Patrice Duhamel et ses équipes travaillent déjà sur la rentrée de septembre. Je leur ai demandé de préparer un changement profond et visible. Dans le contexte actuel, il n'y a pas de risque à être audacieux.

Où en sont les négociations sur votre plan d'affaires 2009-2012 ?

L'État actionnaire et nous-mêmes avons chacun pris nos responsabilités. Les pouvoirs publics en définissant un cadre de réorganisation et France Télévisions en s'engageant résolument dans la réforme. Nous devrions arriver à un accord avec l'État actionnaire sur le plan d'affaires d'ici à fin mars. Damien Cuier y travaille activement et quotidiennement. Puis nous présenterons la réorganisation en entreprise unique à nos salariés et aux partenaires sociaux dans la première quinzaine d'avril. Nous avons une période légale de quinze mois pour définir un nouveau statut social. La période de négociation qui s'ouvre est cruciale pour France Télévisions. En accord avec l'État actionnaire, nous voulons éviter le traumatisme d'un plan social. Je le répète, il n'y aura pas de plan social. En revanche, nous mettrons en place un dispositif de départs anticipés à la retraite fondés sur le volontariat. Selon la photographie statistique de l'entreprise, 900 personnes pourraient entrer dans ce cadre, soit environ 10 % de nos effectifs permanents. Dans le plan d'affaires, il est envisagé que les économies de structures et de coûts de production permettent notamment de compenser le coût de la transformation interne. Compte tenu de nos efforts et de l'évolution des recettes publiques, nous sommes convenus avec l'État actionnaire que 2011 sera la date du retour à l'équilibre opérationnel.

Quel sera le sort de votre régie publicitaire ?

Notre régie est performante, inventive sur le plan commercial et nous constatons une grande fidélité de nos annonceurs. Aujourd'hui, nous avons des signes positifs et encourageants. À ce jour, nous sommes en ligne avec nos objectifs (260 millions d'euros en 2009) et les deux premiers mois de l'année sont positifs. À ceux qui disent que la suppression de la publicité nous protégerait de la crise, je réponds qu'actuellement il est tout aussi difficile d'aller chercher de l'argent à Bercy que sur le marché ! S'il n'y avait pas eu l'arrêt de la publicité, je suis certain que TF1 et M6 afficheraient des baisses de recettes non pas importantes mais vertigineuses. Quant à l'avenir de la régie, nous avons plusieurs hypothèses de travail. Notamment la possibilité de partenariats, voire de prise de participation dans France Télévisions Publicité, qui est une filiale à 100 % du groupe.

Quelle va être votre politique en matière de programmes ?

Compte tenu de la situation de nos concurrents du secteur privé, France Télévisions est désormais le partenaire prioritaire, incontournable, de la création, pour ne pas dire son principal soutien. En 2008, nous avons dépensé en faveur des œuvres audiovisuelles 369 millions d'euros alors que nos obligations portaient sur 364,5 millions. En 2009, ce sont 375 millions que nous devrons investir dans la création. Fin février, 158 millions d'euros ont déjà été engagés. En revanche, d'autres postes budgétaires en matière de programmes doivent baisser. C'est vrai pour le sport, dont les droits ont flambé au cours des dernières années. Il est aujourd'hui temps d'éteindre l'incendie. Le fait que l'appel d'offres pour la Coupe de la Ligue soit resté infructueux alors que nous étions les seuls candidats est révélateur. C'est aussi le cas pour les émissions de flux (jeux, divertissements). Nous comptons baisser une nouvelle fois les curseurs après avoir mis un premier coup de frein en 2005. Pour cela, nous nous appuierons sur des audits que nous avons diligentés. Il est impératif de revoir les contrats de production de flux pour la rentrée. Patrice Duhamel et les responsables des chaînes s'y emploient. Enfin, nous revoyons notre politique en matière d'achat de droits cinématographiques. C'est dans cette perspective que nous avons, par exemple, renoncé à regret à acheter Slumdog Millionaire, que nous estimions trop cher.

On vous reproche de mettre en place une centralisation excessive…

Il est impératif d'harmoniser les processus de sélection, de décision et de fabrication des contenus, car jusqu'à présent il était difficile d'avoir une politique commune entre nos différentes chaînes. Cela ne portera en rien atteinte à la diversité de nos programmes. C'est dans cet esprit que nous allons nommer, la semaine prochaine, des coordinateurs pour les unités de programmes. Leur nombre sera toujours plus raisonnable que celui de directeurs avant le passage à l'entreprise unique.

La réforme sera effective à l'échéance de votre mandat. Faites-vous le sale boulot pour un successeur ?

Ce n'est pas un sale boulot. C'est une mission nécessaire, ambitieuse et passionnante. Mon mandat se termine en août 2010. Cela me laisse le temps de mener à bien cette réforme. C'est le premier point. Le second, c'est qu'il faut avoir une vision qui dépasse mon mandat. Il me semble qu'un manager qui ne dessine l'avenir de son entreprise qu'à l'horizon de ses propres échéances n'est pas un bon manager. Cette réforme, je l'ai voulue, je ferai donc ma part et je la mènerai à son terme car le calendrier me le permet.